La journée était pourtant bien partie. Il y avait du Soleil, une petite brise légère et délicate, les petits oiseaux chantaient, bref le beau stéréotype. Et puis, elle ne savait pas pourquoi, mais le monde aujourd’hui avait décidé d’être contre elle dès les premières secondes où elle s’était réveillée. Pour une fois en accord avec le monde extérieur, Yoake avait fait sonné son réveil à sept heures et demi du matin – elle avait un rendez-vous important plus tard dans la matinée. Seulement, revenant d’un très long assassinat – la sécurité avait été un véritable calvaire à détourner – elle n’avait dormi que deux grosses heures et avait décidé de prolonger son court sommeil de juste quelques minutes. Certainement pour la punir de quelque chose, un vortex temporel sortit de nulle part l’avait aspiré dans une spirale infernale et quand elle rouvrit les yeux, il était huit heures dix. Incroyable. De mauvaise humeur, elle se retourna dans son lit en se frottant les yeux et foudroya du regard le pauvre matou qui dormait innocemment sur son lit pour grommeler à son encontre :

Yoake : « Tu pouvais pas me réveiller non ? Tu sers à rien ! »

Le dit matou l’ignora royalement et ne bougea pas une oreille alors que Yoake se levait, pas très bien réveillée. Mais heureusement, le monde qui décidemment lui en voulait beaucoup aujourd’hui remédia à cet état somnolant quand la jeune demoiselle se brisa méchamment le petit orteil dans une armoire qui avait vraisemblablement bougé pendant la nuit. Saloperie. L’assassin se dit que la journée s’annonçait alors très mauvaise, que ce foutu soleil qui brillait ne l’avait pas réveillé, que le vent ne servait à rien et que les oiseaux chantaient faux. En dépit de quelques contretemps qui mirent à mal ses nerfs, elle arriva pile à l’heure à son rendez-vous qui se déroula sans trop de problème même si le type avait dû avoir un peu peur quand elle l’avait foudroyé du regard sur place. Après cela, la journée c’était un peu améliorée et Yoake s’était crue pour un temps réconciliée avec le monde. Petite naïve.

Tout se passait pourtant très bien jusqu’à l’après-midi. Sortant machinalement son portable de sa poche, Yoake pianota un instant sur les touches pour accéder à internet. Bug. Froncement de sourcil. Nouvel essai. Nouveau bug. Nouveau froncement de sourcil. Le monde était décidément contre elle. Ne baissant pas les bras, elle garda la tête froide et essaya plusieurs manipulations, le dos appuyé contre un mur quelconque qui, après une brève inspection, s’avéra être celui qui entourait un parc à en juger par les rires d’enfants dans l’air. Elle commençait à s’énerver légèrement, jusqu’à ce que son hollow ne s’en mêle. Et là, ce fut le drame. Car Tsukiyo n’était pas connue pour sa patience, ni sa subtilité, ni même sa grande maitrise d’elle-même. Il ne lui fallut que deux refus de la petite machine pour qu’elle s’énerve pour de bon.

Tsukiyo : * SA MERE L’HARKONNEN ! Il pue le vieux distille ton truc ! *

Oui voilà, c’est bien ce que je disais, sa grande patience, sa subtilité Presque poétique et son incomparable maitrise. La queue de l’arrancar cingla l’air du monde interne de l’assassin en un bruit de fouet, ce qui fit sursauter les deux sabres jumeaux qui échangèrent un regard inquiet. Généralement, quand les deux filles reprenaient des expressions datant de l’époque où Yoake vivait dans le désert, c’était plutôt mauvais signe. Cela indiquait surmenage, fatigue, susceptibilité et énervement. Bref, c’était mauvais signe. Sous l’énervement de son hollow, Yoake avait repris sa marche en évitant machinalement les enfants qui couraient dans tous les sens mais qui, de toute façon, n’avaient visiblement pas envie de venir discuter avec « la madame pas contente après son téléphone ». Excédée, ses pensées dépassèrent ses lèvres et elle commença à parler avec animation à la petite boite récalcitrante :

Yoake : « Machine de Shaitan ! Tu portes un collier ! »

Pour ceux non habitués au langage du désert, ce n’était pas quelque chose de très gentil à dire, même à un portable. En fait, c’était même une très vilaine insulte, qui devait figurer dans les pires insultes que l’on puisse dire à quelqu’un. Seulement voilà, il n’y avait pas de désert au Japon, donc pas d’homme du désert, donc personne pour la comprendre. Retenant un grondement dans sa gorge, elle tenta de nouveau de se calmer et fit une nouvelle tentative. Restons calme et détendue, cette machine finirait bien par marcher non ?

Yoake : « Domestique ! Tu as vendu ton peuple pour le prix de son eau ! »

Apparement, non. Nouvelle insulte venue du désert. Baissant les bras pour le moment, elle laissa la machine gagner le premier round en se faisant la promesse de lui exploser sa face dès qu’elle en aurait l’occasion. De toute façon, elle avait pris soin d’apprendre par cœur tout ce qu’il y avait d’important dans la mémoire virtuelle du cellulaire et elle n’aurait aucun état d’âme à l’exploser à coup de batte de baseball – il faudrait juste qu’elle aille en acheter une. Eteignant au final la machine, elle le porta toutefois à hauteur de ses yeux avant de lâcher un méprisant :

Yoake : « De toute façon, tu n’as pas d’immortalité, aucun de tes descendants ne porte ton sang ! »

Et toc, prends toi ça dans la face, stupide machine ! Ah, tu fais moins la maligne maintenant ! D’un geste rageur, elle la rangea dans l’une de ses poches et prit enfin le temps de regarder autour d’elle. Son premier réflexe fut de sursauter, son esprit encore plongée dans ses souvenirs, elle ne s’attendait pas à voir tant de... verdure. Il lui fallut quelques secondes pour se rappeler qu’ici, tout n’était pas de sable, que le soleil faisait rarement monter la température au-delà de quarante degrés Celsius, et que oui, il y avait tout plein de plante ici. Elle se recomposa rapidement un visage neutre plus calme, même si les braises de sa colère étaient encore rougeoyantes au fond de son esprit. Un autre détail attira cependant son attention, d’ordre spirituelle cette fois. Il y avait un shinigami, droit devant elle. Et ce n’était pas tout... il y avait un autre type qui avait l’air de le voir, lui aussi. Ça faisait beaucoup de monde spirituel au même endroit... Oups. Elle quitta son air de nouveau surpris pour en prendre un plus doux et un peu plus amical, quittant toute agressivité pendant que son esprit fonctionnait à vive allure pour se trouver une couverture valable.

L’avantage du langage du désert c’était qu’on pouvait dire ce que l’on voulait, personne ne comprenait jamais rien. Enfin, sauf si vous étiez en pays arabe bien sûr, mais ici au Japon personne ne parlait arabe... ou presque. Après tout, il y avait toujours des exceptions mais non, là, perdue dans la cambrousse de Karakura, il n’y avait aucune chance de tomber sur quelqu’un comprenant les références anciennes de la vizarde. Non, vraiment aucune chance... Elle ne s’étonna donc pas quand le regard des deux hommes se posa sur elle, l’air intrigué et curieux pour le shinigami. Heureusement, elle n’avait rien dit de trop étrange et cela serait facile à rattraper. Au pire, elle passerait pour quelqu’un d’un peu excentrique mais elle n’était pas à ça près n’est-ce pas ?

Leto : « Subakh ul kuhar. »

Pardon... ? Yoake laissa la surprise se marquer sur son visage alors que... hein ? A moins que... ? Elle tenta de rapprocher ce qu’il venait de dire à du japonais qu’elle avait mal compris mais... non aucun doute, les sons étaient beaucoup trop éloigné de la langue asiatique pour qu’elle puisse les confondre. Ce type venait de parler arabe comme ça, sans sourciller, avec son sourire adorable et son visage fin tout calme tout doux. Même pas un petit accent de rien du tout, rien. Cela voulait dire... qu’il venait d’entendre sa petite crise de nerf et qu’il avait compris à quel point elle était énervée. Oups. Heureusement, la surprise avait rapidement remplacé la colère, et sa mauvaise humeur était un lointain souvenir. Elle resta ainsi étonnée pendant quelques secondes, les yeux un peu écarquillés ne sachant pas quoi répondre au début... Puis, ses origines du désert reprirent le contrôle le plus naturellement possible, comme si au fond, elle n’avait jamais cessé d’être cette gamine qui aimait jouer dans le sable. Reprenant un sourire plus doux, elle joignit ses mains à l’horizontale et les sépara lentement, réalisant ainsi le salut du désert, lui répondant de sa voix paisible :

Yoake : « Subakh un nar. »

Autrement dit, « je vais bien et vous ? ». La surprise passée, ce fut son entraînement d’assassin qui reprit le dessus et elle entreprit de détailler le shinigami. Il était grand, plus grand qu’elle d’après ce qu’elle pouvait en juger et semblait assez mince sous son uniforme. Ses traits fins étaient japonais sans la moindre hésitation, exprimant un calme parfait et une certaine noblesse. Ses yeux étaient sombres, contrastant avec sa peau pâle et même s’il avait l’air le plus calme du monde, autant clarifier les choses tout de suite. S’avisant du bac à sable tout près d’elle comme par hasard, elle s’abaissa avec douceur et en prit une poignée pour la lancer tranquillement dans l’air... l’assurant ainsi de ses intentions pacifiques. Bon bien sûr, s’il lui sautait dessus tout crocs dehors, elle n’allait quand même pas se laisser faire mais elle n’avait pas l’intention de jeter la première pierre. Et puis de tout façon, elle avait la flemme de se battre. Soudain, un détail attira son regard... ses longs cheveux ne flottaient pas librement avec le vent ils semblaient... gênés par quelque chose.

Intriguée, Yoake s’attarda sur ce détail et remarqua enfin le peigne finement ouvragé qui ornait sa chevelure... Peigne qu’elle avait déjà vu quelque part lui semblait-il. Elle dut fouiller dans sa mémoire pour satisfaire sa curiosité qui n’aurait pas supporté un échec. Voyons... Déjà, cela avait quelque chose à voir avec la noblesse... Pourtant ce n’était pas dans les riches manoirs qu’appelait sa mémoire. Réveillant son sabre somnolant au fond de son esprit, elle le fit un peu travailler ce feignant pour qu’il l’aide à retrouver ce souvenir... après tout, c’était son rayon ça. Grommelant quelque chose, l’albinos se laissa guider et retraça le chemin qu’évoquait ce dragon gardien des cheveux... Un petit garçon... au Rukongai... Elle y était maintenant, mais cela remontait à de nombreuses années. Un sourire amusé se peint sur ses traits sans le quitter des yeux. Elle n’aurait jamais cru le retrouver ici... ni même qu’il soit devenu shinigami, ce petit noble aventurier. Se souvenait-il d’elle ? Visiblement non à en juger par ses traits.

Yoake : « Kull Wahad ! » souffla-t-elle.

C’était juste une expression marquant sa totale surprise, même si elle semblait plutôt s’en amuser qu’autre chose. Mais l’heure n’était pas totalement à la surprise et aux retrouvailles. L’autre homme aux cheveux blancs s’était éloigné et s’était assis sur un banc un peu à l’écart mais les gardant tous deux dans son champ de vision. Son visage ne lui disait que vaguement quelque chose, son énergie spirituelle avait une signature étrange semblable à... la sienne. Était-il l’un de ses « vizards » d’il y a une centaine d’année ? Peut-être, elle n’avait pas plus envie que ça de creuser la question, trop de souvenir tuait le souvenir. Repassant au japonais, elle inclina la tête comme pour s’excuser.

Yoake : « Pardonnez-moi ! Ai-je interrompu votre conversation ? Je ne veux pas vous déranger... »

Sous l’apparence noble et calme du shinigami, Yoake pouvait deviner que la surprise était présente aussi chez son interlocuteur. Après tout, il était peu commun de tomber sur quelqu’un parlant arabe au Japon. Il était amusant de songer que c’était une étrange coïncidence qu’il s’agisse du petit garçon qu’elle avait percuté bien des années plus tôt... Mais cela, il l’ignorait et elle n’avait pas non plus l’intention de le lui révéler. Croisant les bras, elle pencha la tête sur le côté en écoutant sa réponse.

Leto : « Nous ne conversions que depuis peu, puis-je connaitre votre nom au retour de cette politesse ? Mon nom est Yongil Leto. »

Un Yongil, rien que ça. Il ne lui fallut pas longtemps pour retrouver dans ses souvenirs pour savoir que les Yongil était une famille de Haute Noblesse, elle avait dû les fréquenter une paire de fois quand elle trainait avec les Kuchiki... et puis ils avaient une bibliothèque énorme, ce qui avait valu à leur demeure le qualificatif de paradis pendant un certain temps. Paradis qu’elle squattait régulièrement avec plus ou moins l’autorisation de jour comme de nuit... Mais ça aussi c’était un secret et elle n’avait absolument pas l’intention de le lui dévoiler non plus. Si elle commençait à partager tous ses secrets aussi, elle ferait un bien piètre assassin... Mais ce n’était pas la question. Elle étudia sagement le peigne du noble et se souvint qu’effectivement, le symbole de cette famille était un dragon. C’était également la raison pour laquelle son sabre aimait tant cette famille, étant lui-même un gros lézard volant sans aile. Elle lui fit un sourire amusé et souffla pour le taquiner en s’inclinant devant lui.

Yoake : « Un Yongil, rien que ça ? C’est un honneur de faire votre rencontre, Yongil-sama. Mon nom est Amado Yoake. »

Après tout c’était un noble, elle lui devait le respect... ou pas. Après tout il n’avait aucun titre de noblesse dans ce monde, et elle-même n’appartenait plus à la Soul Society alors pourquoi s’abaisser de la sorte ? Sans doute était-ce plus amusant. S’éloigner de lui à cause de son rang alors qu’ils s’étaient trouvé un étrange point commun qui, l’espace d’un instant, leur avait permis de trouver une certaine complicité. Parler une langue connue d’eux seuls dans les environs, ce n’était pas rien. Avancer, reculer, pour au final ne pas se laisser approcher de trop près. Il était dangereux de s’attacher aux gens. Elle tourna enfin le visage vers l’autre homme qu’elle pouvait deviner fatigué à son maintien, les légères cernes sous ses yeux, ses traits tirés. C’était une chose importante dont il fallait tenir compte au cas où ils devaient en arriver à tirer le sabre. Oh, s’il était réellement un guerrier masqué il ne fallait surtout pas le sous-estimer mais il faudrait tourner le combat dans un affrontement d’endurance... alors que lui cherchera à en finir rapidement.

Gardant la tête tournée vers Kensei dont elle ignorait encore le nom à cet instant, elle attendit sagement de capter son regard avant de faire quelque chose pour vérifier si son énergie ne mentait pas. Ce fut très court, le temps d’un battement de cil à peine, mais il ne manquerait pas de le comprendre elle en était sûre. Laissant son hollow interne se rapprocher de sa conscience, son énergie se troubla et ses yeux se parèrent de noir et d’or. Elle battit des paupières et ils revinrent bleus comme par magie. Pour quelqu’un connaissant les vizards, c’était assez clair mais le doute pouvait être de mise. Après tout, peut-être était-ce simplement un jeu de lumière avec les nuages devant le soleil ? Le jeune Yongil allait se méfier d’elle maintenant elle en était presque sûre, et même si elle n’avait pas la moindre intention de lui nuire, il avait certainement raison de le faire. Après tout, sur le papier elle était toujours recherchée par la Soul Society même si tout cela remontait à beaucoup trop longtemps pour que quelqu’un s’en soucie encore. Mais on ne savait jamais. Elle arqua un sourcil d’un air interrogateur vers Kensei, comme demandant silencieusement confirmation de la compréhension de son geste et fit un sourire poli.

Yoake : « Et puis-je savoir à qui ai-je l’honneur de m’adresser, monsieur ? »