C’avait été une journée un peu trop tranquille au goût de Yoruichi. Le soir venu, elle se décida enfin de l’activité qu’elle ferait. L’idée lui était venue comme ça, sans prévenir. Oui, cette nuit, elle irait à la Soul Society. Une petite sortie nocturne en tant qu’hors-la-loi l’avait enchantée. La fauve avait enlevé ses vêtements et entrepris de se transformer. En peu de temps, une forme féline parvenait de l’autre côté. Elle frissonna quelque peu en parvenant au Seireitei, ne s’attendant pas à une température un peu plus froide qu’à l’habitude. Les lieux étaient déserts, normal pour cette heure de la nuit. Seul un chat noir et furtif parcourait les toits…

Admirant le paysage nocturne, Yoruichi s’arrêta un moment. Elle leva la tête et fixa la voûte céleste quelques secondes. Un rideau de bleu indigo noirci par la nuitée. Un tapis d’étoiles blanchâtres accompagnait une lune qui fut vite cachée par un encombrement de nuages poussés par la brise presque glaciale. Le pelage du chat tressaillit une nouvelle fois, trahissant un peu le fait que le vent lui transperce les poils. Reprenant sa course, Yoruichi n’avait pas d’objectif particulier en tête. Uniquement faire une promenade ici, pour se replonger dans ses souvenirs et profiter du calme. Se dégourdir les pattes et réfléchir.

Si l’on se concentrait bien, peut-être apercevrions-nous une sombre silhouette faire des bonds gracieux et rapides, mais Yoruichi comptait bien sur sa discrétion pour ne pas se faire repérer. Sans nécessairement le vouloir, elle était encore bien connue ici, et son but n’était pas de réveiller des gens pour une simple marche dans la nuit. Parcourant encore et toujours les toits, la féline ne s’attendait pas à ce que ses pas la guident vers le manoir Kuchiki. Quelle coïncidence… Elle avait songé à Byakuya assez récemment. De façon étrange, comment avait-elle pu se rendre presque directement ici sans s’en rendre compte? Écartant ses interrogations de son esprit, Yoruichi se laissa guider par la curiosité. Curieuse de quoi? Curieuse de savoir ce que Byakuya faisait. Était-il présent, ou les lieux étaient eux aussi déserts, le propriétaire étant lui-même en train de vagabonder?

Le chat répondit seul à cette question. S’infiltrant rapidement en cet endroit calme, elle chercha du regard si quelqu’un s’y trouvait. Tout d’abord, elle put constater qu’il y avait de la lumière. Elle put distinguer un son particulier depuis le jardin. Une voix. Celle de Byakuya. Ne bougeant pas, étirant seulement les oreilles, elle écouta. Il comptait. Elle étira ses lèvres en un léger sourire, chose particulière pour un chat… Byakuya fit une pause et termina de compter. N’entendant plus sa voix, la féline décida de voir de ses yeux dorés le possesseur de la voix qui venait de taire. Silencieuse, elle se posta dans un coin d’ombre et attendit, fixant le capitaine.

Elle savait qu’il l’avait repérée, car il déplaça délicatement sa main sur son Zampakuto. À moins que Byakuya veuille faire un entraînement solo à cette heure, il n’y avait pas d’autre raison pour qu’il fasse ce mouvement. Yoruichi se tint assise, attendant un quelconque mouvement supplémentaire de la part du shinigami. Elle ne pensait pas qu’il l’accueillerait joyeusement et se préparait à lui dire pourquoi elle était dans son jardin, à cette heure.

Il n’était décidément pas prêt à la rencontrer de manière favorable à la discussion. Semblant toujours tendu et prêt à riposter contre une quelconque attaque de la part de Yoruichi, Byakuya ne lâchait pas le manche de son arme, visiblement mûr pour se défendre de la nouvelle présence en son jardin. Il murmura lentement et sans aucun dynamisme son nom à elle. Il savait encore la reconnaître facilement après tant de temps? Le chat esquissa un semblant de sourire qui trahissait ses sentiments envers le comportement se voulant d’un total sang-froid de la part du noble. Elle trouvait cela audacieux, voire même presqu’exagéré qu’il réagisse ainsi. Elle comprenait, certes, qu’il ne soit pas réceptif à un retour de ce genre, surtout celui de son mentor d’il y avait une centaine d’années.

Un poisson aux écailles brillantes, l’une des carpes du jardin, fit alors une pirouette hors de l’eau, attirant le regard aiguisé de la féline. Yoruichi ne fut pas longtemps intéressée par les flots redevenus calmes et replaça son attention vers Byakuya. Silencieux depuis sa dernière phrase, le nom du fauve, il n’avait pas effectué le moindre mouvement, toujours concentré sur un point invisible, cherchant peut-être à localiser Yoruichi. Celle-ci non plus ne s’était pas permis de bouger. Après tout, il n’était pas totalement prudent de se dévoiler immédiatement face à celui qui semblait avoir l’intention de lui faire la peau, maintenant qu’elle était traitresse. Il avait changé, elle le sentait, et cette petite rencontre ne se ferait certainement pas comme la féline aurait pu le prévoir. Sa prédiction n’était pas bien précise, mais déjà, elle sentait qu’elle ne pourrait pas s’appuyer dessus bien longtemps.

Elle continua à observer le noble immobile. Le vent fouettait légèrement sa chevelure et son corps semblait devenir lentement moins tendu, mais c’était les seuls détails qu’elle pouvait distinguer. Sauf bien sûr le fait qu’il était devenu capitaine. À cette vue, elle reprit son rictus souriant, intérieurement fière qu’il ait pu faire autant de progrès pour atteindre enfin ce rang. Après encore quelques instants supplémentaires d’immobilité presqu’hiératique, il ouvrit la bouche pour lui souhaiter la bienvenue… d’une façon qui n’étonna presque pas Yoruichi. En effet, elle s’attendait à ce genre d’attitude envers elle. C’était normal, après tout, qu’il lui fasse sentir qu’elle était traitresse. Elle l’avait laissé tomber, en même temps que tous les autres. Mais sa demande pratiquement immuable de lui donner une raison de ne pas l’éliminer, ici, ce soir, la décontenança quelque peu.

Byakuya était devenu bien plus strict et solide qu’autrefois. Cela se sentait bien aussi à son ton, très semblable à celui de son aïeul, et à sa sérénité presque surnaturelle. Yoruichi savait maintenant qu’elle devrait se prononcer, et rapidement. Il venait tout juste de se tourner lentement dans sa direction, sans toutefois lâcher son arme. Serait-ce une peur qu’elle l’attaque? Peu probable. Avec l’expérience et le caractère qu’il avait acquis, ça ne pouvait pas être cela. Une simple protection ou une menace de mort semblaient être les deux options les plus plausibles.

Le félin se décida à sortir doucement de l’ombre, se présentant par le même fait de façon maintenant purement physique, se mettant à égalité avec Byakuya sous la lumière glacée de la lune. Avec une expression de calme égalant presque le noble, elle s’assit et plongea son regard doré dans celui gris et profond de son ancien élève, qui avait froncé les sourcils. Le silence était pesant, presqu’insoutenable, mais les deux n’en semblaient nullement affectés. Ignorant presque la dernière requête de son interlocuteur, Yoruichi lui adressa calmement la parole.

Est-ce la seule chose que tu aies à me dire?

Le regard brillant de la féline capta rapidement la main du noble qui lâchait la garde de son zampakuto et qui descendait se remettre en une position normale. Elle voyait dans son regard légèrement froncé et inexpressif que la rencontre ne lui plaisait pas, qu’il y avait quelque chose qui l’empêchait d’être heureux de la revoir. C’était tout à fait normal, en fait, qu’il ne veuille pas lui adresser joyeusement la parole, après l’abandon qu’elle lui avait fait subir. Elle ne méritait même pas de revenir le voir, de peut-être songer à récupérer son amitié avec lui… Non, ça, elle n’en avait pas encore la permission. De toute façon, le simple regard dur, froid et calme que Byakuya lui adressait répondait à ses interrogations intérieures, ses souhaits impossibles et ses envies absurdes.

Il sembla se replonger dans ses pensées, l’instant que Yoruichi puisse songer elle-même aux raisons qui l’avaient conduite à agir de la sorte. D’un certain sens, elle savait que le noble ne lui pardonnerait pas facilement. Peut-être jamais, même. Mais il valait mieux d’essayer de s’expliquer que de fuir, pour une fois. Il émanait une dure sérénité de Byakuya, et la féline n’ignorait pas qu’il serait difficile de récupérer sa confiance. Il avait su l’oublier, du moins, elle l’espérait, qu’il ne s’était pas imaginé pendant toutes ces années de la revoir rapidement, qu’elle lui ait simplement joué un tour. Non, cette fois-là, elle était partie sans un mot, choisissant l’exil dans le monde humain.

Yoruichi avait le droit d’avoir des regrets. Comme ceux de ne pas en avoir glissé mot à Soi Fon, ou à Byakuya. Mais la discrétion avait été un élément qui l’en avait empêché, et elle avait dû se taire pendant si longtemps. Elle n’avait pas voulu se retourner vers le passé, elle avait elle-même tenté d’effacer ses pensées envers ses anciens compagnons, de ses occupations, celles que la féline avait choisi d’oublier pour sauver Kisuke. Le chat n’avait toujours pas lâché Byakuya des yeux, cherchant une quelconque pointe d’émotion qui pourrait trahir ses pensées. Elle n’eut pas à patienter bien longtemps encore pour recevoir la prochaine réponse du noble, qui recommença à parler d’une voix grave et sans énergie.

Il lui demanda pourquoi elle était venue ce soir-là et pas un autre, et osa même s’enquérir de savoir pourquoi elle n’était pas passée plusieurs années avant. Le voulait-il, tout d’abord? Après son action, sa désertion, avait-il réellement espéré la revoir? Il sembla quelques secondes à Yoruichi que Byakuya l’avait attendue, plusieurs jours durant, ne croyant pas qu’elle avait disparu. Était-ce vrai, ou ce n’était que son imagination qui lui jouait des tours? Elle ne pouvait être sûre de rien à propos de l’homme qu’était maintenant devenu le noble. La féline ne savait pas s’il avait encore quelques traits de son enfance, ou s’il avait évolué en un homme beaucoup plus sérieux que le laissait présumer sa silhouette et son attitude? La deuxième option flashait dans la tête de Yoruichi.

Elle se laissa aller à quelques pensées détournées. Pourrait-elle un jour s’amuser encore avec lui comme autrefois, ou devrait elle constater un énorme changement dans sa technique et donc une amélioration sûrement visible? Il avait déjà plus de réflexes et son esprit dégageait une impression d’énergie calme et influente, différente de celle qu’elle avait connue chez-lui. Quelqu’un avait-il pris la relève sur elle ou bien il s’était entraîné seul avec ce qu’elle lui avait enseigné? Peu de gens devaient posséder la réponse, et pour le savoir elle devrait le lui demander. Ce qu’elle ne fit pas immédiatement, car le plus important était de répondre à Byakuya.

Pourquoi maintenant? Parce que j’ai eu l’occasion non prévue de passer ici.

Il s’était encore renfermé en lui-même, dans ses pensées. Yoruichi se demandait de plus en plus sérieusement à quoi il songeait. À la manière qu’il l’exécuterait, ou bien au passé? Peut-être même à totalement autre chose. Le seul fait dont elle était certaine, c’est qu’il dissimulait quelque chose en lui. Elle finirait bien par le découvrir.

Je vois que tu as grandi en un homme droit, Byakuya.

Non. Il ne croyait pas la féline devant lui. Son regard de cendres parlait à lui seul. Byakuya ferma à demi les yeux, se replongeant dans ses pensées. À quoi pouvait-il penser? Il avait vieilli et son esprit ne s’affichait désormais plus comme avant, il était désormais difficile de cerner les idées et les réelles émotions du noble. Yoruichi plissa discrètement les yeux pour chercher en vain un signe, quelque chose qui pourrait lui expliquer ce qu’il ressentait à ce moment-là. Soudain, de manière presque dédaigneuse, il lui annonça qu’elle n’avait pas vraiment changé, de son côté.

Silencieuse, ignorant cette présumée attaque à sa conscience, Yoruichi ne cessa de le regarder dans les yeux. Lui aussi faisait cette action, car il entrouvrit à nouveau ses paupières, fixant la féline. Elle ne savait pas ce qu’il lui annoncerait de plus, son expression avait l’air d’annoncer qu’il avait autre chose à dire. Mais quoi? Elle ne fut pas surprise de l’entendre la réprimer sur son statut d’exilée. Elle avait réfléchi avant d’agir et comprenait ce qu’elle avait fait, après tout. Byakuya cherchait à la narguer. Une vengeance pour ce qu’elle lui avait fait subir dans le passé? Le noble fit une avancée de deux pas, sans toutefois quitter son regard doré. Elle ne réagit pas face à cette dernière action. Il osa même lui annoncer qu’elle devrait se méfier. Qu’il n’était plus celui qu’elle connaissait.

S’il voulait jouer au jeu de la provocation avec elle, c’était bien commencé. Elle put enfin légèrement reconnaître dans ses pupilles l’élan de fierté qui l’animait autrefois. Faisant mine de rien, elle répondit simplement, faisant contraste avec le comportement négatif de Byakuya. Faisant une esquisse de sourire, le chat ouvrit enfin la bouche.

Je suis fière d’apprendre que tu t’es amélioré, Byakuya.

Elle ne désirait pas qu’il soit si hostile envers elle. Entretenir les troubles était son choix à lui. S’il ne désirait plus lui parler, elle comprendrait. Mais au moins, elle voulait savoir comment il se portait, ce qu’il était maintenant, comment se débrouillait-il… Avait-il suivi ce qu’elle lui avait enseigné? Des tas de questions se mélangeaient dans son esprit. Pas l’ombre d’une seule ne passa dans l’éclair de ses yeux. Ni par sa bouche, aussi.

Yoruichi s’assit, balançant doucement la queue derrière elle. L’agressivité n’était pas son intention ce soir. Après tout, elle n’avait pas plus eu l’idée de venir en cet endroit, la décision avait été prise au hasard alors qu’elle passait dans les environs. Restait juste à savoir si Byakuya était réellement si frustré, voire même déçu de la voir si tardivement dans le temps.

Aucun mouvement de la part de Byakuya. Décidément, il avait bien changé, depuis le temps. Moins impulsif, moins… tout ce qu’elle avait connu. Comme si une carapace terriblement solide s’était éprise de lui, s’était posée par-dessus ses émotions, de manière invisible. Et pourtant, cela se sentait. Il n’était plus autant emballé, du moins, avec la comparaison de ce que Yoruichi avait en mémoire du noble près d’elle. Tranquillement, sans broncher ni avancer plus, il planta ses yeux de couleur cendrée dans ceux de la féline. Étrangement, son regard ne semblait plus vraiment hostile, seulement vide de sentiments. Peut-être un peu durci, mais rien de plus.

Bien vite, il cessa cette contemplation d’yeux emplie de silence et se détourna sans un mot vers le bassin de carpes. Bassin bien ancien, puisqu’il était là aux années de Yoruichi. Les poissons brillants étaient toujours présents, ces petits êtres qui attiraient rapidement le regard de par leurs reflets illuminant légèrement sous la lueur de la lune. Adouci à cette vue, Byakuya murmura une devinette. « Qu’est-ce qui est petit et marron? » Était-il fatigué pour se laisser à de tels petits jeux? Son comportement n’était plus celui d’il y a cent ans, et Yoruichi le voyait mal lui poser une devinette si elle prenait en compte ce qu’elle avait pu observer de sa nouvelle personnalité. Du moins, elle leva la tête vers lui, cherchant silencieusement une explication à cette étrange histoire.

En à peine quelques secondes, il avait trouvé autre chose à dire. Ne daignant pas faire un autre mouvement, Byakuya lui susurra simplement qu’il devait sûrement l’avoir surpassée, et que surtout, qu’elle ne se fasse pas d’illusions tant qu’au fait qu’il veuille bien jouer avec elle comme autrefois. Une preuve de plus qu’il avait bien changé en cent ans. La seule manière de vérifier si ce qu’il affirmait était vrai, c’était de le tester, pourtant… Mais s’il voulait remettre cette partie à plus tard, elle le laisserait faire comme il lui plait… Pour ce soir.

Elle se permit de penser à la devinette qu’il lui avait soumise. La réponse pouvait être à peu près n’importe quoi, passant d’une petite pierre à la noix quelconque. Mais cherchant quelque chose de moins élaboré que quelque chose de trop général, la réponse se mit à briller au fond de son esprit. Était-ce vraiment aussi élémentaire que ce que lui suggérait son cerveau? Cachant son envie de lui demander où est-ce que Byakuya avait bien pu prendre cette devinette, elle lui répondit doucement, sans trop élever le ton.

Je dirais bien simplement… un marron.

Sa queue avait cessé son mouvement de balancement, mais il reprit presqu’aussitôt après qu’elle se fut tue. D’un certain sens, Yoruichi ressentait que Byakuya se posait des questions intérieurement, qu’il n’était pas tout à fait calme. Peut-être arriverait-elle à récupérer un peu de sa confiance pour comprendre ce qui se tramait en l’esprit du noble capitaine?

Yoruichi patienterait. D’un calme étonnant, elle restait assise en le regardant, attendant une quelconque réponse à propos de la devinette. Avait-elle trouvé la réponse et Byakuya ne se résignait pas à lui céder la victoire, ou bien la féline avait complètement échoué dans sa réplique? Le noble devant elle demeurait d’un silence glacial, encore visiblement plongé au plus profond de son être. Chose étrange, Yoruichi percevait légèrement un trouble émanant de sa personne. Et cela, il cherchait à le lui cacher. Était-ce dû à elle? Byakuya ramena ses prunelles vers le chat. Son regard était encore aussi indifférent, bien transformé d’autrefois. Yoruichi se prit à songer un instant à l’homme devant elle, tel qu’elle l’avait connu.

Bien plus jeune évidemment, il possédait une réelle détermination, plus visible qu’en ce moment. Il cherchait à se dépasser, la dépasser. Et ses phrases qu’elle ignorait depuis le début, celles où il lui rappelait durement le passé, en lui indiquant qu’elle ne pouvait plus effectuer certaines choses qu’elle avait l’habitude de faire, où même de lui faire sentir qu’il l’avait outrepassée… C’était encore digne de lui, mais sa voix plus grave et impassible donnait un effet plus froid à ses paroles. Une sévérité que Yoruichi connaissait moins de lui. Il ouvrit la bouche une autre fois. Pour tenter de la contredire en lui annonçant que la réponse était… une châtaigne. Voulait-il rire d’elle?

Il fit de nouveaux pas pour se diriger vers un banc. Sur lequel il s’assit, sans dire un mot de plus, l’ignorant, même. Un petit coup de brise froide provoqua un frisson à travers le pelage de Yoruichi, qui ne broncha pas. Elle n’avait d’ailleurs pas suivi le noble lorsqu’il avait quitté sa compagnie de quelques mètres. La féline se contentait de l’observer de loin, balançant toujours sa queue dans le vide en guise de passe-temps. Ses oreilles battirent l’air ambiant avant qu’elle ne se décide à le suivre, sans toutefois le rejoindre sur le banc. Elle resta bien sagement assise sur le sol, à environ un mètre et demi du capitaine.

Toujours silencieux, il se contentait de ne pas vraiment la regarder, fixant un point dans le vide, sans doute, avant de lui annoncer qu’il trouvait qu’elle était patiente envers lui. Et, une nouvelle fois, il lui répéta que le temps où elle l’avait connu était révolu. Tous ces mots faisaient penser à Yoruichi des choses bien troublantes. Comme si Byakuya n’était tout simplement plus lui-même. De simples détails révélaient à Yoruichi que ce n’était pas totalement le cas, mais de légères craintes vis-à-vis le noble la bouleversaient de manière incompréhensible. Peut-être espérait-elle retrouver le Byakuya qu’elle avait connu, en se rendant ici d’instinct. Mais à quoi avait-elle pu penser? Le jeune garçon impétueux et déterminé qu’elle avait connu était-il mort? Non. Yoruichi ne devait pas s’affaiblir à songer à de telles choses. Le temps lui répondrait, évidemment. Elle posa une autre fois ses yeux dorés dans les siens gris, puis lui répondit.

Est-ce que cela te troublerait, Byakuya?

Pensant une seconde à la devinette, elle lui fit… un clin d’œil, si un chat pouvait vraiment en faire un, et ajouta furtivement, et d'un ton sarcastique, amusée :

J'espère aussi ne pas être celle qui t'apprendra qu'un marron et une châtaigne sont la même chose...

Le noble capitaine demeurait silencieux, ne faisant pas face à la féline assise devant lui. Une position, qui, peut-être, l’empêchait de le défier directement, comme une protection personnelle face à elle. Ses yeux demeuraient nettement posés sur la mare tout près. Yoruichi le laissa tranquillement penser. Elle remarquait une légère tension de la part de Byakuya, et préférait lui donner un moment de calme. Déjà, c’était difficile pour les deux de se revoir, et en de telles circonstances, cela rendait la rencontre encore plus pesante. Elle ressentait que quelque chose de plus tracassait Byakuya. Il arrivait bien à le cacher, mais quelque chose disait au chat qu’il se tramait quelque chose de plus ou moins grave. Mais Yoruichi n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Pensive, elle ne quittait pas le noble des yeux, cherchant de nouveaux indices.

Il finit par ajouter qu’il n’était pas de ceux qui doutaient. Le chat fit une mimique semblable au sourire. Doucement, les yeux gris quittèrent l’image de l’eau et se penchèrent vers la féline. Tout à fait silencieux, comme avant sa dernière phrase, il referma ses paupières, barrières contre Yoruichi. Entrouvrant à nouveau les lèvres, il répondit sur le sujet des marrons en expliquant que l’un se mangeait et que l’autre non. Elle demeura silencieuse face à ce faible essai de provocation. Mais Yoruichi fut surprise qu’il utilise le titre qu’il lui donnait par le passé. Était-il en train de lui donner une petite impression de sa confiance qui revenait? C’était beau de rêver. S’ils récupéraient la relation qu’ils possédaient autrefois, ça tiendrait du miracle. Elle s’attendait aussi à ce qu’il se taise jusqu’à ce qu’elle ait une réponse à cela. Et elle se trompait.

En effet, quelle ne fut pas sa surprise de l’entendre demander pourquoi elle était partie. D’un air légèrement traînant et peut-être de reproche, mais il l’avait dit. De nombreux souvenirs se mirent à déferler dans son esprit, comme si cette seule demande avait suffi à percer un trou dans ce quelle avait enfermé. Dissimulant un certain malaise, Yoruichi s’efforça de répondre le plus calmement possible, avec une voix assurée.

C’était... une nécessité.

Elle se maudit de son hésitation. Comment pouvait-elle paraître crédible face à lui, si elle montrait une incertitude dans ses paroles? La féline garda le silence, cherchant à savoir si Byakuya avait perçu son malaise, et comment il réagirait à sa réponse quelque peu simple. Les motifs de son exil étaient élémentaires, mais cela pourrait choquer le noble, lequel elle avait littéralement abandonné, après tout.

Yoruichi savait que son hésitation ferait passer un commentaire à Byakuya. Il n’y avait presque pas de doute sur le sujet, et elle s’y était attendu. Il s’était calmement levé debout, observant de nouveau la mare située devant lui. Son menton fut dissimulé par l’écharpe qu’avait autrefois portée son grand-père… Il arborait une expression de sérieux, assez éloignée de ce que la féline avait connu par le passé. Mais, à présent, il était capitaine, et elle n’avait aucune idée de ce qu’il avait pu vivre lorsqu’elle était disparue de sa vie.

Le sens de la remarque du noble était un peu embrouillé. Demander de la sincérité sinon il ne la connaissait pas? Mais alors, que cherchait-il? Les conditions étaient graves, comme s’il voulait la provoquer… Mais aussi, Byakuya pouvait être en train de chercher ce qu’il avait connu dans le passé, retrouver ce qu’il avait perdu, la Yoruichi qu’il avait connue. Était-ce le temps de l’enquiquiner ce soir, alors qu’ils se retrouvaient depuis tant d’années? Si c’était ce qui pouvait tout ramener comme avant, elle l’aurait fait. Mais la féline savait bien que ce passé ne se transférerait pas dans le présent, et qu’il fallait malheureusement écrire une nouvelle page de l’histoire. Soudainement, Byakuya avança de quelques pas, comme s’il désirait quitter un peu la compagnie du chat. Elle le suivit, bien évidemment. Pourquoi le laisser ainsi, sans lui avoir au moins donné une réplique à ce commentaire?

Ai-je réellement besoin de me montrer joueuse pour avoir une once de crédibilité à tes yeux?

Le regard du félin se perdait dans l’eau calme, cherchant la lune se reflétant sur le miroir que formait le bassin. Yoruichi cherchait-elle un peu de soutien de la part de cette eau? Même elle ne le savait pas. Son esprit vagabondait à nouveau, elle ne savait pas ce que ferait Byakuya, ou même s’il répondrait. Le changement étonnant de personnalité de ce garçon qu’elle avait connu et entraîné la dépassait un peu. Elle ne s’imaginait pas beaucoup avoir une conversation semblable avec lui autrefois. Non, il était beaucoup plus difficile à cerner, et elle remarquait qu’il cachait quelque chose depuis un bon moment. Yoruichi aussi lui dissimulait la vérité, mais était-elle prête à la lui révéler?

Les yeux dorés quittèrent le plan d’eau et se posèrent plus haut, sur le noble à ses côtés.

Et pour revenir à tout à l’heure, tentais-tu de me dire que tu pourrais m’avoir surpassé?

Elle ajouta, sur un ton un peu plus sarcastique :

Pardon de ne point l’avoir écouté.

Oui, elle évitait le sujet de son absence, mais elle s’intéressait à un autre. Découvrir la réaction du noble tant qu’à son doute sur ses compétences était alléchant. Il avait aussi spécifié qu’il ne lui courrait pas après pour le lui prouver. Yoruichi se demandait s’il était parfaitement certain de ce qu’il pouvait accomplir contre elle, avec cet avertissement. Avait-il peur de ne pas l’avoir surpassé et ne voulait pas le vérifier ainsi pour ne pas se replonger dans leurs anciens jeux?

Les yeux nobles s’étaient une nouvelle fois refermés sans autre forme de procès. Comme si Byakuya cherchait à nouveau à ériger un mur entre les deux, une légère protection visuelle pour retirer le chat noir de son champ de vision. Yoruichi patienta. Elle savait qu’il répondrait à ses derniers mots. Du moins, c’est ce qu’il aurait fait par le passé, lorsqu’elle l’a connu plus jeune. Comme attendu, il soutint qu’elle avait changé. Comme si le changement était interdit chez l’être vivant. Justement, le changement, c’était l’évolution. Quelle soit positive ou négative pour lui, cette transformation avait eu lieu, c’était le cours normal des choses. Maintenant, comment entendre raison face à lui sans entendre de commentaires désobligeants de sa part, portant sur des détails futiles? Ah, les opinions différentes… Mais c’est ce qui fait du monde un monde.

Le changement c’est l’évolution, d’amélioration ou de détérioration, mais c’est toujours un apprentissage.

Une phrase simple, mais contenant des secrets intéressants. Pour évoluer il faut apprendre, et l’apprentissage sert à survivre. Le regard toujours et encore posé sur la masse d’eau foncée qu’était l’étang, le chat balançait la queue d’un air calme, comme intéressé à cerner l’exact nouveau caractère de Byakuya. Il affirmait qu’elle avait changé, mais que dirait-il si elle lui remettait la même chose sur le nez? Ce nouveau calme et cette froideur plus forte, ils n’étaient pas présents autrefois. Des changements, l’on en voyait partout. Physiquement, c’était plus facile à remarquer. Mais si l’on prend le temps d’observer, de comprendre et de connaître, les transformations psychologiques sont tout aussi compréhensibles et accessibles.

Délicatement, à nouveau, le corps du noble se tourna vers Yoruichi. Il avait encore le regard voilé, mais s’était décidé à lui faire face. Une étape de plus. Avec un ton qu’elle reconnut, il lui demanda si elle avait peur qu’il lui prouve que ses capacités à lui avaient dépassé les siennes, et, surtout, ajouter qu’il n’avait aucun doute tant qu’à ce qu’il prétendait. De l’audace, une supériorité qu’elle lui connaissait, enfin elle voyait en lui quelque chose de familier. L’idée de voir si réellement, il l’a dépassée en performances est attirante, mais quelque chose clochait.

Yoruichi tourna puis remonta son regard vers Byakuya, afin de le regarder pour lui répondre. Lorsque ses prunelles se posèrent sur lui, elle détourna le regard une fraction de seconde, comme pour se prouver que c’était bien lui, car, à cet instant même, outre une plus grande dureté, son portrait était celui de son père, Sojun. Il se rapprocha d’elle avec un regard qui expliquait qu’elle ne pourrait pas jouer avec lui comme bon lui semblait. Serait-il capable de l’en empêcher?

C’est étrange, Byakuya, j’allais te demander la même chose. Aurais-tu toi-même peur de vérifier si tes capacités m’ont dépassée, et te rendre compte que ce n’est pas le cas?

Un léger doute lui effleura l’esprit. Et si les capacités du noble l’avaient vraiment dépassée, elle qui n’avait plus vraiment combattu depuis tout ce temps? Non, il ne fallait pas s’attarder sur ce point. Si la vérification se faisait, elle vivrait avec les résultats. Après tout, il était possible que Byakuya ait raison, elle savait qu’il était capable d’apprendre, et surtout, de progresser.