Dans les landes désertiques du Hueco Mundo, il n'était possible de tomber que sur trois types de paysages. Le premier, mais le plus connu, n'était autre que l'immense désert sans fin. Une mer de sable s'étendant à perte de vue et une végétation cristalline aussi rare que fragile. Ces landes sans vie abritaient la plupart des habitants du Monde Creux, qu'il s'agisse de simples Hollow jusqu'aux Arrancars organisés en colonies. On aurait aisément pu comparer cette population à une peuplade nomade, ne devant sa survie qu'à une organisation et une hiérarchisation très stricte et difficile. Après tout, ce monde n'était pas fait pour les faibles, ces derniers n'étant que la pâture des plus forts, des plus féroces, et des plus assoiffés de combats. Il n'était pas si aisé de se cacher dans un tel endroit.
Le deuxième type d'habitat n'était autre que la forêt des Menos. Lieu de réunion de cette piétaille sans raison, n'étant muée que par l'unique instinct destructeur, sans pour autant avoir de pouvoir quelconque. Un amalgame de centaines de Hollow de bas-étage. Il n'était que très rare d'en voir arborer autre chose que leur ignoble masque à nez pointu. Seuls les individus à fort psychisme pouvait conserver un semblant de raison et peut-être même évoluer au stade suivant. Mais cette forêt était un lieu hostile où chaque seconde à découvert pouvait être fatale pour peu que l'on soit de même niveau que ces stupides créatures. De bons et loyaux sujets, ou tout simplement d'irrémédiables soldats sans libre arbitre, n'agissant que sous l'égide de la force la plus importante par instinct de survie ? En un millénaire, je n'avais jamais réussi à trouver la réponse à cette question, à tel point qu'elle ne m'importait d'ailleurs plus le moins du monde.
Quant au dernier genre de lieu qu'il était possible de voir au Hueco Mundo, ce dernier restait le plus rare, le plus atypique et le plus marquant. Il s'agissait tout bonnement des landes de cristal. Derniers vestiges des combats passés, où la chaleur et l'intensité de ces derniers fut suffisante pour cristalliser le sable du désert, formant une véritable forêt cristalline. Mais le temps des grandes guerres entre Hollow et Shinigami n'était plus et pratiquement la totalité des habitants du Monde Creux avait oublié l'existence même de cet endroit, et à plus forte raison, sa signification. Plus d'Empereur pour unifier les Hollow, plus de guerre organisée... tout ce qui s'était déroulé pendant plus de mille ans n'était rien d'autre qu'une série de rixes entre créatures sans coeur et Dieu de la Mort. Le respect de ses congénères n'était plus qu'un vague souvenir au sein du groupuscule éparpillé des Hollow. Les querelles intestines étaient monnaies courantes, du moins assez pour décourager un éventuel "Retour du Roi", n'en déplaise à ce bon vieux Tolkien.
Je n'allais pas faire irruption à Las Noche, en ouvrant à bout de bras les deux immenses portes d'entrée. Je n'allais pas faire apparaître ma lame pour terrasser le tyran, et encore moins sauver ce monde, mon monde, de l'égide du mal. Qu'en avais-je à faire ? Pourquoi diable le ferais-je ? Réunir à nouveau les Hollow grâce à une force considérable pour maintenir une cohésion parfaite ? Et ensuite ? Partir à nouveau dans une guerre insensée et dont l'issue était tant obscure qu'inutile ? Les choses étaient très bien comme elles étaient. La seule chose que je pouvais regretter, ce fut sans nul doute qu'elles soient... stagnantes. Oui... stagnante. A l'image d'un moulin à vent qui ne tournerait plus, restant immobile, hideux, au milieu d'un paysage splendide, gâchant la vue. S'il était inutile de se lancer dans une nouvelle guerre, mon âme de combattant répugnait à laisser les choses ainsi. Cesser d'avancer... errer sans but... cela était contraire à la nature de tout Hollow. Je ne faisais pas exception à la règle.
La question était assez simple : que faire sans trop en faire. Certes, ma notion de simplicité laisse à désirer, si l'on considère la difficulté que l'on peut avoir à trouver une réponse à ce genre de question. Terminant les restes d'un Hollow s'étant égaré dans les landes cristallines où je résidais, ainsi assis contre une paroi glaciale en demeurant pensif face à mon feu de camp, je me demandais s'il n'était pas temps pour moi de sortir de ma retraite, de refaire surface, ne serait-ce qu'un peu. Beaucoup d'évènements avaient eu lieu ces derniers temps, un nouvel usurpateur se présentant comme souverain de mon monde, prenant ma place sur le trône en ignorant même sans doute qu'il m'ait jamais appartenu. A en juger de ce que j'avais observé et écouté, ce Barragan n'avait rien d'un roi, et encore moins d'un tyran. Au mieux, il faisait office de gourou sectaire. En mille ans, l'air qui émanait du Hueco Mundo avait bien changé... trop changé pour rester agréable à respirer. Et pourtant, malgré cela, ce n'était pas paradoxal de dire que les choses restaient les mêmes.
Plutôt que de respirer un instant de plus l'air qui émanait de cet endroit, je préférai sortir de mon trou pour aller ailleurs que dans mon ancien domaine. Mieux valait se renseigner en premier lieu sur ce qu'était devenu le monde des humains. Peut-être que ce dernier était devenu assez agréable pour être un lieu de résidence plus approprié à ma personne. Pas besoin de palais, ni de serviteurs et encore moins de chevaliers. Juste de l'animation qui ne soit pas trop morbide, et pourquoi pas quelques âmes appétissantes. Me relevant, jetant ce qui restait de la patte arrière du Hollow que j'avais dévoré, je tendis mon index droit devant moi. Une vibration se fit aisément ressentir avant qu'un bourdonnement audible ne caractérise davantage la chose qu'était le Garganta. M'engouffrant dans le passage, je quittais le Hueco Mundo, m'enfonçant dans les Ténèbres, les mains dans les poches, le regard baissé et pensif. Marchant à travers ce long couloir, je me demandais ce que je pourrais bien trouver. Alors que la sortie se dessinait devant moi, ce fut une lumière assez éblouissante qui marquait l'arrêt de mon voyage. Cette lumière du jour, depuis combien de siècles ne l'avais-je pas vu ? J'étais resté plusieurs centaines d'années dans mon trou, à continuer de m'entraîner sans fin, à dévorer les imprudents s'approchant de mon dernier refuge, à regretter le passé. Mais les choses s'étaient mises en mouvement de manière trop brusque pour que je reste terré dans mon palais de cristal.
L'Empereur se remettait en route...
Ignorant ce que j'allais trouver, je fus assez surpris par ce que je vis. Des rues des plus animées, une population plus qu'active, des monuments d'architecture complexe et tout un tas d'autres choses que je n'aurai peut-être même pas pu imaginer. Voilà pourquoi je portais un attrait tout particulier à l'espèce humaine. Bien que spirituellement, elle soit absolument ridicule, elle n'en restait pas moins surprenante. Évoluant sans cesse dans la technique, restant constamment en mouvement... c'était ce genre d'essor et de volonté d'avancer que j'aurai désiré pour ma race. Mais des guerriers ne vivant que pour tuer... il ne fallait pas leur en demander de trop. Tous n'avaient que le mot "puissance" à la bouche, et aucun d'entre eux ne tentait même de comprendre l'essence du terme "technique".
Mais alors que je laissais mon esprit vagabonder ainsi, demeurant perdu dans mes pensées, j'en oubliais quelque chose d'important. Il me fallait masquer mon reiatsu. Je venais imprudemment de rester une bonne minute avec ce dernier au niveau normal... ce qui était suffisant pour faire tomber inconscient les personnes se trouvant à quelques mètres de là. Fermant les yeux, je diminuais mon énergie spirituelle jusqu'à un stade pratiquement indécelable. En m'avançant alors dans les ruelles, je constatais que les humains avaient, en revanche, perdu beaucoup de leur énergie spirituelle d'il y avait plusieurs siècles. Les individus à la masse musculaire et à l'esprit combattif avaient laissés la place à des grandes perches sèches avec une tête plus grosse, mais aucun attrait du guerrier. Sans doute la paix avait rendu les hommes moins prompts au combat, et donc moins développés pour y faire face. Les chances que je trouve des âmes particulièrement délicieuses me semblaient assez infimes. Mais de toute façon, je n'étais guère là pour pique-niquer, mais plutôt pour me détendre et observer le monde d'aujourd'hui.
Je ferai l'impasse sur la plupart des machines étranges que j'ai vu, ou encore des modes de vies qui demeurent similaires aussi bien à l'époque où j'étais humain qu'à celle d'aujourd'hui. Certaines choses changeaient, d'autres demeuraient... il n'y avait rien de plus à dire. Je venais de marcher assez longtemps pour arriver devant le panneau indiquant le nom de la cité où je venais d'apparaître : Karakura sur Mer. Même si je pouvais déceler des pressions spirituelles importantes, je n'avais cependant pas de quoi m'alarmer, du moment que je restais discret... espérant que mon arrivée n'ait pas alerté le ou les shinigami en charge de ce secteur. Restant invisible aux yeux des passants, je marchais tranquillement dans les rues, me surprenant à flâner, les mains dans les poches. Hormis les termes, rien ne changeait véritablement. Les échoppes avaient pris le nom de boutique, les tavernes, celui de bar, etcaetera etcaetera. J'arrivais finalement sur la grande place de la ville, croisant mes bras derrière la tête en regardant autour de moi.
Mais une âme errante sans chaîne de karma et dans mon accoutrement, voilà qui était loin d'être aussi banal que j'aurai pu le penser...